LA CULTURE DU ROTARY

Blog de Serge GOUTEYRON

LA CULTURE DU ROTARY - Blog de Serge GOUTEYRON

Lettre à la souffrance

par Bernard Descampiaux

Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille [….]
Ma Douleur, donne-moi la main : viens par ici, |…]
(Charles Baudelaire – « les fleurs du mal »)

Jusqu’à ce fameux jour de novembre, je n’ai connu en mon corps que les maux et maladies des enfants ordinaires. J’ignore ton existence. Je ne sais pas jusqu’à quelle profondeur tu es capable de t’insinuer.

Tu as plus d’un tour dans ton sac, experte pour surgir sans crier gare, t’installer partout, occuper mon corps, en entier, comme si tu étais chez toi. Il parait que, normalement tu es juste là pour donner l’alarme, pour attirer l’attention sur ce qui ne va pas, pour permettre au médecin de faire son diagnostic. Alors, une fois cela accompli, pourquoi ne te retires-tu pas ? Pourquoi est-ce que tu t’incrustes ? Tu sais, parfois je crois que tu t’acharnes sur moi. Mais qu’est-ce que je t’ai fait ? Pourquoi m’en veux-tu à ce point ?

« Polio souffrante », qu’ils ont dit, comme si cela pouvait tout justifier, tout permettre, puisque la fatalité le décide ainsi : « Polio souffrante ».

Mon corps est un bâton de bois. Dur. Rigide. Les articulations ne plient plus. Je suis lourd comme un arbre mort. Alors il me faut subir « les postures ». Lutter contre les rétractions des muscles qui pourtant ont rendu l’âme et cependant résistent, comme pour un ultime combat destiné à m’abattre encore. Et toi tu viens t’infiltrer dans chaque fibre musculaire éteinte, histoire d’occuper le terrain. Les crampes que j’ai connues enfant, à côté des douleurs que tu infliges, c’est de la douce rigolade…

Il faut tenir une heure. Une heure de posture, deux fois par jour les premières semaines, parce qu’il faut faire plier l’articulation de la hanche, du genou, de la cheville. Plier encore, déchirer les muscles, les mater. Chaque heure est un calvaire. Tu ne rends pas les armes. Tu as décidé que tu ne lâcherais pas la prise, que tu resterais prégnante jusqu’à l’ultime seconde. Et quand vient la délivrance, lorsque la kiné revient délier les sangles, faire cesser ce qui ressemble tellement à de la torture, alors, dans un ultime effort, tu te fais d’une violence extrême dans l’articulation elle-même lorsque celle-ci est ramenée au repos.

Tu veux que je te dise ? Tu es une vraie garce. Une salope. Je te hais. J’ai cru que l’on pouvait composer avec toi, comme dans ce poème de Baudelaire. Mais non. Tu prends plaisir à mes pleurs, mes cris, ma supplication que l’on arrête. Tu as ce sourire narquois des crapules lorsque la kiné est en retard de quelques minutes pour me délivrer. Et puis, tu sais, tu sais très bien, que tout à l’heure, tu recommenceras. Et que cela durera encore des semaines et des semaines.

Extrait du livre de Bernard Descampiaux « Lettres aiguës et accents graves »
b.descampiaux@wanadoo.fr

Lien internet où on peut se procurer le livre
http://www.thebookedition.com/lettres-aigues-et-accents-graves-bernard-descampiaux-p-54968.html

Catégorie : PolioPlus